À l’occasion du mois du développement durable IAE FRANCE, nous vous proposons de découvrir l'interview portrait de Yannick Roudaut, essayiste, conférencier et entrepreneur sur les questions de durabilité et intervenant au sein du master APEME (Analyse économique de projets - environnement, mer, énergie) de l'IAE.
En septembre 2024, Yannick Roudaut intervenait auprès de nos étudiant·es du master APEME pour une conférence autour de la question : “Quels sont les enjeux économiques, politiques et sociétaux de la transition écologique ?”. Nous l’avons interrogé sur sa vision de demain et sur le rôle de la révolution numérique sur les problématiques d’écologie.
- Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis auteur, éditeur et conférencier sur les questions de durabilité. Je m’efforce de faire de la prospective, bien que je n’aime pas ce mot. J’interviens en entreprises, dans des colloques et des dans associations professionnelles. Avant de m’intéresser à ces question écologiques et sociétales, j’ai été journaliste économique et financier pour Le Monde, Le Figaro Économie ou encore Bloomberg Tv.
- Vous avez travaillé 20 ans dans le monde de la finance, il y a ensuite un basculement, une prise de conscience et vous commencez à travailler à la sensibilisation des causes environnementales, pourquoi ce basculement ?
Dans les années 2000 j’ai pris conscience de la folie spéculative qui s’emparait des marchés financiers. Les indices n’avaient plus rien à voir avec l’économie réelle. Au même moment, on commençait à parler en France d’une finance alternative, la finance éthique ou durable. Je me suis intéressé à cette finance qui se préoccupait des impacts sociaux et environnementaux en plus de la recherche de rentabilité. J’ai proposé au journal Le Monde de faire des dossiers sur cette thématique puis j’ai écris un livre en 2006, l’Alter Entreprise chez Dunod. Au fil des années, j’ai élargi mon champs de connaissances pour en arriver à l’économie alternative, un autre monde.
- Aujourd’hui, quel métier exercez-vous ? Quel est votre lien avec l’IAE ? En quoi cela a-t-il du sens pour vous ?
Je consacre la moitié de mon temps au développement des
Éditions la Mer Salée et l’autre à l’écriture et aux conférences. Mes interventions sont à la fois historiques, économiques et philosophiques. Je suis convaincu que nous vivons une grande rupture vers une autre monde, rupture comme il y en a eu peu dans l’histoire. La complexité de cette période me passionne. Comme j’ai une bonne culture économique, le cœur de mon discours tourne autour de la réconciliation de l’économie avec les questions sociétales et écologiques. Le système actuel arrive en bout de course. Nous habiterons la terre autrement d’ici quelques décennies. J’ai commencé mes interventions à l’IAE depuis dix ans environ. J’interviens également à Centrale Nantes.
- On constate une réelle prise de conscience par la jeunesse au cours de ces dix dernières années dans le paysage médiatique. Vous intervenez dans plusieurs établissements universitaires nantais. Cette prise de conscience est-elle seulement médiatique et médiatisée ou est-elle arrivée dans les salles des cours ?
La prise de conscience est désormais une réalité partout dans la société. C’est ce que je constate à travers mes déplacements en France et en Europe. Plus personne ne peut dire qu’il n’est pas au courant de ce qui se joue actuellement sur le plan écologique. La question aujourd’hui est comment nous allons réussir la bascule vers une économie qui ne détruit plus la nature et ne maltraite pas une partie de l’humanité. C’est la question centrale. J’ai quelques idées sur le sujet, mais ce serait trop long d’y répondre ici. Je les garde pour les cours…
- Quel rôle joue l'explosion d'internet dans ces mutations selon vous ?
Il me semble que Internet et ce que l’on nomme l’IA sont des accélérateurs du temps de l’histoire. Le surgissement du numérique dans nos vies au début des années 1990 est comparable à l’invention de l’impression mécanisée au XVème siècle. La diffusion de la connaissance entraîne une mutation profonde de la société. Ça c’est l’aspect positif de la révolution numérique. Les points négatifs sont l’empreinte environnementale, la demande en eau et en énergie, les déchets numériques, le risque d’une société de contrôle permanent etc. Je m’interroge sur ce que l’on va faire de ces outils. Allons-nous continuer à détruire la biodiversité pour aller chercher des terres rares, du cobalt et du nickel afin d’avoir des voitures électriques et des objets connectés ou allons-nous au contraire utiliser cette IA pour mieux gérer les ressources, mieux anticiper les aléas climatiques et devenir plus raisonnables ?
- Vous portez un regard profondément optimiste face à la capacité des hommes et des femmes à faire changer les choses, à faire avancer le monde. Pourquoi choisir de voir le verre à moitié plein quand tous les voyants climatiques sont au rouge ?
Je ne suis pas optimiste, je suis lucide. La lucidité permet d’éclairer la situation, et la conclusion est des plus préoccupantes : nous abîmons tellement la nature que nous nous mettons en danger, car la Terre elle, survivra à Homo Sapiens. Une fois que l’on a fait la lumière sur la situation, cette lumière nous permet d’avancer dans l’obscurité sans avoir peur. Je suis donc déterminé à avancer vers un autre monde, tout en étant conscient des difficultés auxquelles nous devons faire face. Ensuite, l’histoire humaine nous enseigne que toutes les grandes évolutions, révolutions, ruptures, surgissent de manière totalement inattendue. L’histoire n’est que succession d’évènement inimaginables et inattendus que nous analysons comme étant prévisibles a posteriori. Certains phénomènes comme la fonte des glaces et glaciers sont certes irréversibles. Plus la situation se dégradera plus nous assisterons à des surgissements inattendus. Tout n’est pas écrit et c’est une bonne nouvelle.
- Y a t-il des personnes ou des idées qui vous ont particulièrement inspiré dans vos travaux et au cours de votre vie ?
Oui, Edgar Morin et la complexité. J’ai récemment beaucoup apprécié le travail de David Graeber dans le livre « Au commencement était ». C’est long à lire mais très riche car il requestionne notre histoire.
- Votre dernier ouvrage se nomme les Les Utopiennes, Bienvenue en 2044, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce livre ? Quel message souhaitiez-vous transmettre à travers ce projet ?
Les Utopiennes est un projet collectif dont la vocation est de donner envie aux gens de s’engager, de ne pas baisser les bras. La résignation n’est pas une option rationnelle. Nous avons donc réuni des autrices et des auteurs qui nous ont écrit du futur. Leur message est clair : ne renoncez pas ! Le premier tome est sorti en octobre 2023 et nous parlait de 2043. Le nouveau est en librairie en octobre 2024. Ce sont des nouvelles fraîches du monde dans 20 ans.
Nous remercions chaleureusement Yannick Roudaut d'avoir pris le temps de répondre à nos questions et de nous avoir offert une vision inspirante et éclairante. Vous pouvez échanger avec cet auteur à l'occasion de la conférence de présentation de l'ouvrage Les Utopiennes, bienvenue en 2044.